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Crise sanitaire : le témoignage d’Eric Villecroze, DSC FO Sodexo

Retrouvez le témoignage d’Eric Villecroze, à paraitre dans le magazine 114 Spécial Covid-19.

Le monde des entreprises ne sera plus le même…

« En ce début d’année 2020, nul n’aurait jamais imaginé́ ce qui allait se passer au printemps… L’activité́ économique était là, la bataille contre la réforme des retraites faisait rage, l’État essayant d’expliquer qu’il n’y avait pas d’argent, et essayant de nous convaincre tout en se convainquant lui-même que c’était une bonne réforme…

Un soir de mars 2020, le Premier ministre annonce la fermeture des écoles, collèges, lycées, universités… Surprise et stupeur s’abattent sur les Français, qui prennent conscience de l’urgence de l’épidémie qui sévit et va rapidement se transformer en pandémie.

Le soir même, les téléphones des représentants FO sonnent… Que va-t-il se passer pour nos emplois dans la restauration scolaire, comment allons-nous être payés, combien de temps cela va-t-il durer ?.. À ce moment-là, personne n’imagine que cela va durer deux mois. Les délégués FO essayent tant bien que mal de rassurer, d’aller aux informations auprès des directions des entreprises : mais malheureusement les réponses ne sont pas rassurantes, avons-nous seulement de vraies réponses, ou un discours qui se veut rassurant devant l’inconnu de la situation ?

Trois jours plus tard, à 20 heures, est annoncée la fermeture de toutes entreprises n’ayant pas une activité́ essentielle pour le pays à minuit. Dans les quarante-huit heures qui suivent, est annoncé le confinement de la population…

Les syndicats pour seul recours

À partir de là, le téléphone sonne de 6 heures à 20 heures… Les salariés sont inquiets : inquiets pour leurs emplois, leurs salaires, leurs factures. Certains CDD voient leurs contrats non renouvelés, tout comme les intérimaires. Une panique non feinte s’empare d’eux, ils ne savent pas vers qui se tourner : toutes les administrations sont fermées, l’attente au téléphone pour joindre la CAF, Pôle Emploi, Sécurité́ sociale… dépasse largement une heure et certains sites internet sont saturés. Seul recours : les syndicats de l’entreprise, des personnes capables de les écouter, les conseiller, à qui on peut faire des courriers… L’inquiétude est présente, l’angoisse gagne certains, la peur du lendemain ne les quitte plus.

Le loyer ne peut plus être payé, la facture des courses explose les budgets notamment parce que jusqu’à présent les enfants déjeunaient à la cantine, les salariés prenaient le petit-déjeuner, le déjeuner voir le dîner au travail : la famille monoparentale, la famille tombée dans la précarité́ suite à des accidents de la vie (perte d’emploi, maladie…) avait su s’organiser, flirtant tantôt avec le découvert de la banque, tantôt avec la facture payée avec un peu de retard, bénéficiant des aides comme les Restos du cœur. Mais là, que faire ? C’est une situation inédite, les personnes semblent livrées à elles-mêmes, la précarité́ se fait plus que sentir, et le sentiment d’abandon de la société́, des pouvoirs publics et de l’entreprise qui fournit un travail est plus que présent.

Les annonces gouvernementales ne sont pas claires, ça cafouille un peu, beaucoup… Les décrets publiés ne reflètent pas toujours les annonces, la peur fait place pour certains à la colère… Voire à la révolte contre un système inadapté́.

Colère et désespoir

Nous, délégués FO, faisons de notre mieux pour les rassurer, les aider à y voir plus clair, mais nous sommes loin d’être à leur place et, peu à peu, avec l’isolement du confinement, les fake news du net, la bonne parole du voisin qui sait tout mais ne comprend rien, nous en perdons certains, qui voudraient croire aux belles paroles qu’ils entendent à droite et à gauche, plutôt que la triste réalité́ que nous leur annonçons. Pour certains, nous allons perdre le contact pendant dix à quinze jours : la colère et le désespoir les éloignent de nous, de la réalité́ désastreuse qui s’offre à eux, où chaque jour est une étape supplémentaire, un obstacle qui semble insurmontable…

Avec les jours qui passent, nous maîtrisons mieux l’information, les décisions annoncées par le gouvernement et les entreprises. Par le bouche-à-oreille, par la communication mise en place par l’organisation syndicale (mailings, Facebook, tracts…), peu à peu la situation semble mieux comprise par nos salariés, et les négociations avec les entreprises commencent à porter leurs fruits, rassurant ainsi nos camarades sur notre capacité́ à être actifs et combatifs malgré́ le confinement.

Le dialogue revient rapidement, les questions arrivent par centaines, l’inquiétude fait place à la révolte de la situation, de la responsabilité́ d’assurer le bien-être de la famille. Malheureusement des factures se sont accumulées : loyer, électricité́, crédits… Les délégués rédigent des courriers pour échelonner ces retards de paiement et, fébrilement, les familles en forte précarité́ attendent les accords des créanciers, inquiètes à chaque passage du facteur.

Des mercis nous arrivent, merci de m’avoir fait le courrier d’échelonnement, merci de m’avoir écouté́ et conseillé, merci d’avoir téléphoné́ au RH ou à un gérant pour me faire travailler… Merci au syndicat FO pour sa disponibilité́.

Quel avenir ?

Malheureusement, la sortie de confinement ne va pas résoudre tous ces problèmes : les écoles ne sont pas toutes rouvertes, l’activité́ plafonne à environ 15 % de ce que nous connaissions avant la crise. Les activités sportives et de spectacles sont à l’arrêt, les ouvertures vont s’échelonner, sans pour autant atteindre une fréquentation satisfaisante. Il en est de même en secteur entreprise où là nous sommes sur 30 à 40 % de l’activité́, de fait privant les salariés de travail.

Quel avenir pour les salariés ? Certaines entreprises en profiteront-elles pour licencier afin de restaurer leurs marges, entraînant un plan social chez les sous-traitants ? Comment rassurer nos salariés qui avant la crise étaient au bord de la précarité́, qu’ils ont rejoint malheureusement depuis ? Quelle rentrée pour septembre, et comment garantir dès la rentrée les heures annuelles aux intermittents des restaurations collectives, devant ces incertitudes ? Les marges perdues des sociétés clientes vont-elles se reconstituer sur les économies faites sur les sociétés sous-traitantes, quel avenir pour nos salariés, ces mêmes salariés qui étaient présents mais invisibles au plus fort de la crise, des salariés de l’ombre.

Une chose est sûre, nous, organisation syndicale FO, nous devons évoluer sur notre rôle à jouer dans l’entreprise, être un accompagnateur social pour les salariés. Plus que préserver, nous devons sécuriser nos acquis face à des chantages odieux de certains groupes comme la compagnie Ryanair.

Nous devons revendiquer plus que jamais auprès des directions des entreprises les besoins de demain, en ayant pris soin d’analyser et comprendre le monde d’après cette crise, et nous donner la décence d’exister en tant que sous-traitant auprès de nos clients donneurs d’ordre, car ils auront besoin de nous, et c’est ensemble en vrai partenaire que nous surmonterons la crise sociale et financière qui fait suite à la crise sanitaire, et qui durera plus que les deux mois de confinement ! Nous devons être innovants sur la négociation de nouveaux acquis, et créer un vrai dialogue social et économique, afin de bien comprendre les transformations présentes et futures que vont subir les entreprises, les salariés.

Le monde des entreprises d’après Covid-19, ne sera plus le même que celui d’avant, même si des éléments trompeurs qui suivent le déconfinement peuvent laisser penser que la parenthèse est refermée : ouverture des bars et restaurants, planification des vacances… Nos dirigeants sont déjà̀ engagés dans le round d’après, nos sociétés sont déjà̀ en cours de transformation… Ne passons pas à côté́ de ces transformations, soyons vigilants ensemble et posons-nous la question suivante : quel héritage concernant le droit du travail allons-nous laisser à nos enfants et petits-enfants ? »